Il y a un lien entre le climat des habitations et le climat social, nous démontre Michel Reynaud, architecte, qui donnera une conférence intitulée “ La kaz courant d’air “, jeudi, à Saint-Leu. “ Il faut retrouver le savoir-faire de nos aînés et vivre avec le climat, pas contre lui”, nous explique-t-il. Quand l’architecture rejoint l’urbanisme.
– Michel Reynaud, vous présentez jeudi prochain une conférence intitulée «La Kaz courant d’air». De quoi s’agit-il ?
– C’est bien sûr une référence aux cars d’autrefois. Je vais, en m’adressant au grand public, présenter l’habitat bioclimatique sous ses différents aspects, évoquer le savoir-faire perdu, donner quelques recettes..
– Qu’est-ce que l’habitat bioclimatique ?
– L’exemple le plus simple est l’arbre à palabre. Un arbre pour l’ombrage et une place dessous où l’air circule librement. Dans un climat chaud, c’est un endroit particulièrement confortable, c’est pourquoi on s’y retrouve aussi fréquemment dans les pays à climats équatorial ou tropical. On doit reproduire ce principe dans la construction si l’on veut faire des maisons confortables.
– Vous parlez de savoir-faire perdu…
– La case créole typique évoque la douceur, aujourd’hui on construit en dur. On vivait alors avec le climat et non pas contre lui. L’enjeu est d’importance puisque, d’un mode de construction à l’autre, on augmente la température moyenne des villes de quatre ou cinq degrés. Et jusqu’à dix degrés en fin d’après-midi. C’est ce qui se passe dans des villes comme Saint-Denis ou Saint-Pierre. Des quartiers comme la Ravine-des-Cabris par exemple, et il y en a tant d’autres, sont devenus invivables. Tout y est fermé, bétonné, on ne peut plus y circuler qu’en voiture. Ces quartiers sont devenus durs, bruyants, mécaniques, violents… Le piéton n’y existe plus, tout juste y est-il toléré. C’est aussi la vie sociale qui se perd. La dureté est générale, les gens s’enclosent. C’est la culture du bunker.
– À quoi cela est-il dû ?
– On a copié le modèle occidental. En pratique, il n’y a plus de circulation d’air et on a construit avec des matériaux inadaptés. C’est la rançon d’une certaine modernité. Les arbres ont été coupés, les cours bétonnées ou plantées de gazon, les jardins fermés par des murs hauts et imperméable à l’air, les rues sont couvertes d’enrobé. Tous ces matériaux captent l’énergie solaire, la concentrent et la stockent. Puis ils restituent la chaleur par rayonnement infrarouge, c’est le principe de fonctionnement des panneaux radians des radiateurs.
– Au niveau des habitations c’est le même phénomène ?
– Oui, on construit des fours. Le meilleur exemple est la maison Satec. Elle emmagasine l’énergie et la restitue pendant environ huit heures. C’est ce qui rend ces constructions tellement chaudes la nuit. Ce sont des fours, dans le sens propre du terme. La seule solution, c’est de rajouter des boutons. La climatisation. C’est une fuite en avant car, pour produire une calorie de froid, il en faut dix de chaleur.
– Quelles sont alors les recettes pour rendre sa maison agréable ?
– La sensation de chaleur est une combinaison de la température, de l’hygrométrie et de la circulation de l’air. Une case où il fait bon vivre est une case où l’air circule. Il faut un courant d’air d’un mètre par seconde. Pour obliger l’air à circuler, car il est paresseux. On doit créer une dépression : le côté de la maison sous le vent doit avoir une ouverture au moins égale à celle du côté au vent. Pour la même raison, les clôtures imperméables sont aussi à bannir. Il faut aussi utiliser des matériaux qui ne rayonnent pas, comme le bois. On peut aussi doubler les murs de pergolas, tout comme le toit, car 80% de l’énergie vient du ciel. Toutes ces techniques étaient utilisées par les anciens.
– Vous attachez aussi une grande importance à la végétation…
– En effet, il faut aussi des arbres dans la cours : pour l’ombre et pour l’évapotranspiration ; l’eau qui se transforme en vapeur absorbe l’énergie, cela apporte cette sensation de fraîcheur que donnent les plantes. Les arbres les mieux adaptés sont les endémiques, qui plongent leurs racines à la verticale et ne menacent donc pas les murs. Pour la fraîcheur, le type de végétation, comme à l’avant des cours lontan, a son importance. Le gazon ne remplit pas cet office. Je me souviens de cette anecdote : Guy Roux, l’entraîneur de foot, avait mesuré la température de la pelouse du stade pendant une canicule en y plongeant un thermomètre. Il avait relevé 60°C. L’herbe se consumait littéralement. Et puis, autrefois, le jardin créole était une offrande à ses voisins, un cadeau ; il participe aussi à l’amélioration du climat, dans tous les sens du terme
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Source : Le Quotidien de la Réunion – Philippe NANPON – 22 Avril 2014